Interview sur le darwinisme numérique avec Didier Girard

Ces 3 épisodes des Cast Codeurs sont un échange avec Didier Girard sur ses réflexions autour du darwinisme numérique :

Une série stratégique, pas technique, sur une vision du monde, des sociétés, des individus.

Les Darwinisme numérique, c’est quoi ? (podcast #1)

Suite à un article dans l’opinion sur le cloud souverain, Didier a eu beaucoup de réactions. S’en suit une réflexion et il s’approprie rapidement un terme qui existe depuis longtemps : le darwinisme numérique

On est dans un moment de transformation ou l’économie s’était construite sur le fait que la ressource numérique était rare et cher, et elle devient abondante et abordable. Pour imager, on peut donner l’exemple de la faune et de la flore qui vit dans le désert, et qui se retrouverait dans un écosystème où les ressources sont abondantes. elle est mise en compétition avec des espèces qui consomment sans compter, et si elle veut survivre, elle va devoir se transformer.

Il faut bouger, s’adapter, car la ressource numérique est là, de façon abondante, il faut l’utiliser et ne pas se dire : “elle est chère, je dois l’économiser”. Ce darwinisme s’applique :

  • les nations
  • les entreprises
  • les individus

Internet, c’est un changement systémique. L’industrie de la musique, le cinéma, le livre, tous ont dû s’adapter (le livre moins que la musique…). Tous les métiers vont être touchés, la question est de savoir à quel horizon. Aujourd’hui (2022) c’est la banque, la voiture (Tesla est un software). Dans notre industrie (le logiciel), on y est passé sans que cela fasse de bruit (on est passé à l’heure du SAAS - Software As A Service).

Le darwinisme, ce n’est pas l’espèce la plus forte qu iva survivre, c’est celle qui va s’adapter. La particularité dans le numérique c’est que l’asset n’est pas physique, il peut bouger très vite, se réadapter rapidement. On est dnas un perpétuel mouvement, c’est pour cela que Didier n’aime pas le terme de “transformation numérique”, le numérique pour lui c’est un mouvement.

Il y a un vrai sujet de puissance financière (le rôle des GAFA est indéniable) et il y a ce phénomène de Winner-Takes-All. Un acteur arrive est il prend le marché. Sans doute lié au fait que les biens immatériels sont faciles à remplacer (facile de changer de réseau social) et qu’un moyen d’y parvenir et d’investir, investir, jusqu’à prendre le marché.

Les nations (podcast #1)

C’est un sujet clivant, mais Didier considère le numérique comme une ressources. Les nations doivent être indépendantes sur leurs ressources pur être moins dépendantes et donc plus résilientes (Israel est une nation très numérique, en Roumanie beaucoup d’investissements dans le numérique). Une nation peut émerger en jouant la carte du numérique.

C’est un choix politique, comme l’indépendance sur les matière premières. Il y a 30 cables sous-marin qui relie l’Europe aux États-Unis. Couper ces 30 cables, c’est couper l’Europe de sa puissance numérique. Il y a une énorme fragilité (c’est quasi impossible de défendre ces kilomètres de cables). Il faut de la puissance de calcul en Europe… Le deuxième débat est sur la confidentialité des données.

La souveraineté, c’est 4 axes (on peut y aller avec des transitions):

  • le territoire (Europe ou au niveau du pays)
  • les gens, les ingénieurs pour construire les data centers, pour les opérer localement
  • le hardware, il faut des processeurs (l’Europe veut redévelopper la production en Europe, ce sont des milliards)
  • le software qui va sur le hardware

Les entreprises (podcast #2)

Dans l’aire du numérique, il y a une nouvelle génération d’entreprise Fintch, RetailTech, EduTech, … Tous les secteurs de l’économie sont touchés. Comment les entreprises doivent s’approprier la resource numérique abordable pour se développer.

L’internet n’était pas suffisant. Une start-up devait utiliser une partie de son budget pour acheter des machines (ça a fait le succès de Sun). Le numérique avec le cloud permet d’expérimenter, de tester des idées, des nouvelles choses. Et si cela fonctionne, il faut réfléchir à la rentabilité du service par rapport au coût pour faire tourner les applications dans le cloud. C’est l’idée derrière le FinOps. Il faut créer des service en prenant directement le coût du run et vérifier le coût du run est inférieur à la valeur que cela va créer.

Le numérique n’est plus un centre de coût, c’est un centre de création de valeurs

Une Tech-Company, c’est une entreprise tech qui fait de la banque, de l’assurance, … mais c’est avant tout une entreprise tech. Mais c’est avant tout un mindset. Toutes ces sociétés qui sont nées avec internet et qui ont survécu ont des points communs, la capacité d’adaptation. Les facteurs de succès?

Le mouvement

Chacun de nos choix doit nous rendre compatible avec le futur, pas avec le passé. Aujourd’hui on doit s’en moquer d’être compatible avec Internet Explorer. Depuis Chrome la question est de savoir si on va être compatible avec la prochaine version (on laisse certains sur le bord de la route…).

Si on est sur une structure organisationnelle pyramidale et que la base veut bouger, c’est compliqué de bouger, ou si le patron veut changer… Il faut une structure plutôt plate pour avoir du mouvement dans l’entreprise.

Plus une société est process-isée, plus il est difficile de bouger. On s’est mis d’accord sur un process, sur une façon de fonctionner. Si on veut changer, il faut changer le processus, remettre tout le monde autour de la table, il y a de la politique… Un des mantras de Netflix c’est “liberté, responsabilité”, je m’appuie sur les individus (y compris sur les notes de frais, il y a une grève des trains, j’ai un rendez-vous important, je loue une voiture)

Ce n’est pas forcément agréable, mais on n’a pas le choix…

La vitesse

Il faut être capable de décider rapidement, plus le owner est décentralisé, plus on est rapide.

Il faut être autonome, ce qui ne signifie pas faire n’importe quoi. Il faut une stratégie claire, une vision claire d’où on souhaite aller, et ensuite chacun doit pouvoir emprunter le chemin le plus efficace pour y aller. Chez microsoft, tous les 3 mois il y a le message de Satya qui envoie un e-mail à plus de 100'000 employés pour donner la direction où il faut aller.

Objectif production. Cela ne sert à rien de faire du beau code s’il ne va pas en PROD (faut-il faire des POCs?) Le Monde (le journal) ne contrôle pas tous les articles qui partent en PROD. Il faut recruter des journalistes qui savent travailler, qui sont professionnels, et leur faire confiance, c’est à dire livrer des articles qui “partent en PROD”. Je suis capable d’être rapide car j’ai confiance.

Cela posent beaucoup de questions sur la formation des gens, voir comment faire pour que socialement il n’y ait pas des gens sur les rond-points (allusion gilets jaunes).

L’ambition

Le principe Winner-Takes-All fait que les entreprises sont très ambitieuses.

L’efficacité

Il faut automatiser le plus possible :

  • l’automatisation apporte de la confiance
  • si le business augmente, il va être difficile au bout d’un moment d’aller chercher des gens compétents. Le nombre lien ente le nombre de clients et le nombre d’employés ne peut pas être linéaire mais plutôt logarithmique.

Pizza-team. Il faut des petites équipes aui règlent des petits problème

Coopération vs. Possession. Propriété collective du code (par l’équipe), mais c’est aussi le cas pour les documents (on n’envoie plus le document par e-mail, on le met au milieu dans un système collaboratif). C’est aussi le cas pour la donnée, les gens se sentaient historiquement owner de la données, n’avaient pas envie de la partager (c’est une des raisons de l’échec des datawarehouse) par peur de perdre quelque chose.

Les modèles organisationnels (podcast #3)

Le manager n’est pas le chef de projet. Mon manager ne doit pas être la personne avec qui je travaille au quotidien. Cela doit être mon coach de carrière. Un changement de carrière peut aller contre l’intérêt de mon chef de projet.

Le modèle hiérarchique, le modèle managériale pour gérer la carrière des personnes.

Il y a le modèle sociocratique ou holacratie pour gérer le fonctionnement de l’entreprise et la création de la valeur, l’organisation opérationnelle liée au projet. Si il joue les deux rôles, le chef de projet a des tensions, des conflits, d’où l’intérêt de combiner avec un modèle hiérarchique. Sociocratie sur wikipedia

Dans ces Tech-company, l’IT ne doit plus être un centre de coût. Les techs doivent être dans les cercles de décision (au comité de direction). Le business doit être aligné avec l’IT, sans data center, on ne peut pas doubler le chiffre d’affaire.

Les points importants dans ses sociétés :

  • Data as a product. Il faut des KPI pour piloter, et donc de la Data. La data a de la valeur, elle a un coût.
  • On doit pouvoir consommer le système d’information depuis le navigateur et si possible depuis le mobile, de partout (le réseau internet est le réseau de l’entreprise)
  • Le mindset. Il y a un deck Netflix très connu qui explique la culture “liberté/responsabilité”.
  • Le recrutement est très important. Il faut viser l’excellence. Le développeur, l’ingénieur informatique est par contre, dans ce marché d’abondance, une ressource rare.
  • Le secret.Par défaut c’est publique.
  • Le feedback, dans un but d’amélioration. Il faut en faire un process, mécaniquement on doit demander le feedback, l’institutionnaliser (vue 360 degrés à mettre en place). Dans les retrospective agile, “keep drop, start”, on commence par les “keep”, puis ce qui ne va pas avec les “drops” et enfin les “starts” est un plan d’action)
  • Les erreurs. On ne progresse pas en ski sans tomber.
  • Il faut jouer les collectifs

Tu es recruté pour tes hards skills, tu fais carrières sur tes softs skills

Les Tecch-Company ont plus d’ingénieur que les entreprise traditionnelles. Avec les outils de communication et de collaboration modernes, on a besoin de moins de manager pour descendre le message du CEO. Bien sûr, il faut quelqu’un pour contextualiser et relocaliser ce message, mais ce n’est pas forcément le manager. Cela passe par la structure de gouvernance et de fonctionnement de l’entreprise.

Derrière chaque crise il y a une opportunité

les individus

Un développeur Cobol peut perdre (ou retrouver) très rapidement son employabilité. L’entreprise peut offrir un écosystème pour entretenir l’employabilité de ses collaborateurs, mais c’est avant tout un travail au niveau de chaque individu.

Le métier d’ingénieur est très difficile. Contrairement au boulanger, au bout de 5 ans le développeur peut se rendre compte que tout ce qu’il a appris ne vaut plus rien! Il faut se préparer à cela. Être toute sa vie à l’école, se remettre en question tous les jours.

Chez Sfeir, il y a deux chemin de carrières :

  • Manager : envie d’avoir un impact en tant que manager, de coach, au sens de la carrière, de l’évolution des personnes. Team Leader (TL), Manager Engineering, Director Engineering, VP Engineering. On n’est pas TL à temps plein, on a son job d’ingénieur mais on libère du temps pour faire son job de manager.
  • Expert sur un des verticaux, progresser sur le T-shape modèle. Mon impact n’est pas lié à motiver les gens, mais mon impact est direct lié à mon expertise. On parle de contributeur individuel. Avec des titres comme Staff Engineer, Senior Staff Engineer, Principal Engineer.

Un moment, tu dois faire un choix entre manager et contributeur individuel. Mais au début, lorsque tu dois encadrer, d’un point de suivi de carrière (et non projet, sinon cela devient un temps plein), 10 ingénieurs, tu peux en plus continuer ton job d’ingénieur.